Sornac – Point 20 – 2010/2019.

Regard d’un photographe de paysages sur la recontre avec la vallée de la Diège

La première vision qui s’ébauche chez le photographe de paysages qui venant du sud, arrive sur ce territoire par la D36, est l’étendue de la forêt. Sur les hauteurs, les surfaces de résineux s’étendent à perte de vue, trouées par des coupes rases tranchantes et violentes. Ces plantations, ordonnées comme les cases d’un échiquier offrent une impression sombre, ténue, fermée ; et l’importance des coupes rases disséminées saisit. Si le temps est sombre et pluvieux, ce sentiment s’accentue.
Puis, lorsqu’il descend vers cette vallée façonnée par la Diège, il découvre d’autres taillis et futaies de feuillus dominés par des hêtraies aux sous-bois aérés et lumineux sur les contreforts des collines. Ces bois sont beaucoup plus accueillants au regard du promeneur, une autre ambiance. S’élargissent alors les pâtures apparues parcimonieusement sur les hauts, elles s’étalent vers le fond de la vallée, ouvrant alors le paysage. Enfin, il découvre par endroit la Diège. C’est un cours d’eau facétieux au regard et doux dans son écoulement. Souvent caché par une ripisylve plus ou moins fournie suivant qu’elle borde des champs drainés par les rigoles et les affluents de la rivière, ou des zones humides parfois pâturées, des  tourbières.
Si la Diège a façonné la géographie physique et humaine, et organisé le paysage, elle n’est pas si présente aux yeux du photographe. Tout comme la multitude de lacs et de retenues d’eau qui ont, on le dit parfois, nommé le territoire. Eux aussi sont très souvent entourés de haies d’arbres qui en dérobent la vue. De plus, les zones humides qui accompagnent le lit dominant de la rivière, et parfois les petits
affluents, sont aujourd’hui moins exploitables par l’agriculture très présente sur le territoire. Ainsi, plus ou moins laissées à leur évolution propre, elles se couvrent d’arbustes puis de taillis qui éloignent la rivière du regard.
Lors de son arrivée, le photographe traverse des villages qui paraissent déserts. De nombreuses maisons sont closes, l’architecture est massive, en pierre, les toits sont sombres et personne ne divague dans les rues. Si le temps s’y met, une certaine mélancolie peut l’étreindre. Pour quelqu’un qui vient du sud, où l’on est souvent dehors, il n’y a pas grand monde en ce printemps. D’ailleurs sur l’ensemble des 220 prises de vue réalisées, il n’y aura que 2 ou 3 clichés où l’homme sera présent.
Puis, on reste quelques jours, et l’on découvre un autre pays. Le photographe venu pour un OPP, parcourt les routes de long en large et du matin au soir. Alors, si la première impression ne s’efface pas complètement, du fait de l’importance de la culture forestière de résineux, elle laisse place à une impression de parcellaire très divisé, où les feuillus n’ont pas dit leur dernier mot et restent encore très présents le long de ces collines qui montent doucement vers le plateau.
Il rencontre les habitants, au fil des rendez-vous, mais aussi grâce aux deux cafés du territoire, lieux primordiaux de la convivialité avec les quelques commerces subsistants à Sornac, le point névralgique de cette haute vallée de la Diège. On remarquera la différence entre les deux communes du haut, proches du plateau, plus autonomes et ayant une vie propre, notamment du fait de la présence des cafés et des commerces, car plus loin de la petite ville d’Ussel. Celle-ci donne un sentiment de déshérence, mais elle influe fortement sur les communes du bas de la vallée et en particulier Chaveroche et Saint-Pardoux-le-vieux, où la vie de village semble moindre et où le développement des lotissements est important, soit en périphérie des zones urbanisées plus anciennement, soit en créant de nouveaux écarts.
Dans ces cafés, on y découvre une chaleur humaine, une convivialité, un plaisir du partage qui gomme cette impression première de terre déserte. On y perçoit aussi toute la complexité des affects des habitants par rapport à ce paysage qui est le leur, qu’ils façonnent et qui les accompagne. Un attachement fort et des visions parfois tranchées.
Certains, souvent plus agés ou plus anciennement ancrés sur le territoire, déplorent l’envahissement par la culture de résineux, la fermeture des paysages, la perte des points de vue et la disparition des landes. De rares percées subsistent et on y tient. Comme la route au dessus de Tafalechas, vers le Puy des Pouges, les percées sur la départementale 36, le mont Audouze et quelques percées dues aux lignes électriques.
D’ailleurs, j’ai été frappé de l’absence de paroles sur les lignes électriques qui sillonnent le territoire de part en part et en particulier l’importante ligne THT. Personne ne relève sa prégnance dans le paysage, sur les crêtes, aux abords de certains villages… Le novice que je suis dans ce paysage était frappé par cette visibilité, même si elle est parfois à nuancer, car souvent entourée d’arbres jusqu’au 3/4 de sa hauteur, alors que les autochtones ne la voyaient quasiment pas. Ils l’ont intégrée, l’apport financier qu’elle procure aux communes n’y est sans doute pas étranger comme sa présence depuis longtemps.
– D’autres, souvent plus jeunes dans leurs rapports aux paysages de la vallée de la Diège, aiment et ne conçoivent pas autrement ce territoire richement boisé, parfois refermé, protégé et un rien mélancolique lorsque la brume subsiste.
Les deux points de vue se partagent, mais tous se réunissent sur la violence des coupes rases, dont on apprendra, au cours des rencontres, la nécessité souvent due aux pratiques culturales passées de ce territoire dont la destinée forestière est somme toute assez récente. Les nombreuses rencontres qui ont jalonné nos séjours ont permis de comprendre la complexité des enjeux, parfois très contradictoires, des différents acteurs du paysage (forestiers, agriculteurs, promeneurs, scieurs…). Il est à noter que si le nombre d’agriculteurs a diminué drastiquement ces dernières décennies, l’activité agricole, notamment d’élevage en viande, est essentielle, comme souvent, dans la construction des paysages, et reste très importante économiquement. L’autre acteur économique puissant, la foresterie, a complètement modifié le paysage ces soixante dernières années. L’extrême parcellisation rend difficile la conduite et la gestion de cette culture qui passe les générations, mais on sent une certaine volonté, chez les organismes qui l’encadrent, de l’améliorer et parfois de prendre en compte son importance paysagère même si le facteur économique est souvent l’alpha et l’oméga de toute décision.

Pour un photographe habitué à parcourir des territoires nouveaux et leurs paysages, les remaniements dus à cette nouvelle culture sont impressionnants, la perte des anciens points de vue, l’impossibilité de reconduire 90 % des anciennes cartes postales du début du XXé siècle, la disparition de certains chemins et le remaniement d’autres semblent avoir été rapides, presque autant qu’en milieu urbain. La faible densité de population aurait pu faire croire, de loin, à un paysage abandonné, à un territoire désertique… mais il n’en est rien. Les friches sont rares, sauf peut-être dans les zones humides où elles semblent gagner du terrain. Les habitants, dont l’habitude de migration vers les centres économiques est une tradition quasi ancestrale, ont un très fort attachement à leur terre. Même non habitées les maisons sont entretenues, et corolaires, il est parfois difficile de trouver
un bien à un prix raisonnable pour s’y implanter. C’est aussi un pays coupé en deux entre une attraction d’Ussel au sud et des communes rattachées au plateau au nord.

Pour conclure ce récit perceptif des paysages de la vallée de la Diège, j’y ai découvert un paysage chamboulé par l’arrivée de la forêt, un paysage humain chaleureux, dans une région très agricole où les centres urbains sont à la peine. La Diège y est finalement assez discrète, tantôt cachée par la ripisylve, tantôt encaissée dans son parcours aval, elle est importante aux yeux des habitants, mais finalement pas si visible que je l’aurais cru. L’investissement de la Fondation Chirac est palpable et permet sans doute au territoire d’avoir une population active variée. Par ailleurs, les conditions d’un développement touristique ne semblent pas complètement réunies. Le logement n’est pas toujours simple, et beaucoup de travail me semble nécessaire pour accroître l’attraction du territoire qui ne manque pas d’atouts, les paysages en font partie.
Enfin, c’est un pays qui m’a fait penser à Giono même s’il n’est pas aux portes de la Provence, c’est une terre qui colle à la peau… et parfois aux chaussures ! On y sent toute la profondeur du monde rural, toute la beauté d’une nature qui discute avec l’homme. S’il y a parfois à redire, à mon goût, on comprend que cette terre ai donné un Paul Rebeyrolle, c’est une terre expressionniste.

Claude Belime, photographe